Sa Toute-Sainteté au 70e anniversaire du COE

imprimer

Homélie de Sa Toute-Sainteté le Patriarche œcuménique Bartholomée pour le 70e anniversaire du Conseil œcuménique des Églises à la Cathédrale Saint-Pierre.

Genève, 17 juin 2018

 

Photo Albin Hillert/WCC

 

« Admis au même héritage, membres du même corps, associés à la même promesse, en Jésus Christ par l’Évangile ». (Ep. 3,6)

 

Frères et sœurs bien aimés en Christ,

 

Nous célébrons cette année le septantième anniversaire du Conseil œcuménique des Églises, cette « communauté fraternelle d’Églises qui confessent le Seigneur Jésus Christ comme Dieu et Sauveur selon les Écritures et s’efforcent de répondre ensemble à leur commune vocation pour la gloire du seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit »1.

Nous célébrons un long pèlerinage commun sur la voie de l’unité, du témoignage chrétien, de l’engagement pour la justice, la paix et la sauvegarde de la création.

Nous rendons grâce à Dieu qui a guidé nos pas et nous implorons sa protection et son soutien pour continuer ensemble sur la même voie, avec le même élan et la même ferveur.

Il y a nonante huit ans, peu après la fin de la Première guerre mondiale qui fut si dévastatrice, une voie s’éleva à l’Orient Chrétien, interpellant les Églises de l’oikouménè entier d’établir entre elles une confiance mutuelle, de ne plus se considérer comme étrangères, mais comme parentes et familières en Christ, en tant que « cohéritières, membres du même corps et bénéficiaires de la même promesse de Dieu » (Ep. 3,6), et les invitant à remédier ensemble aux plaies profondes causées par la guerre. Plaies qui révélaient un mépris absolu des principes les plus élémentaires du droit et de l’humanité et qui, de surcroît, menaçaient les fondements même de la foi chrétienne.

Il s’agissait de la Lettre Encyclique que le Patriarcat Œcuménique de Constantinople envoya en janvier 1920 « À toutes les Églises du Christ dans le Monde », leur proposant la création d’une « Société d’Églises » (Κοινωνία τῶν Ἐκκλησιῶν), sur le modèle de la « Société des Nations » qui venait d’être créée cette même année par le Président Wilson ici à Genève. Une Encyclique qui, selon le regretté Visser’t Hooft, premier secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises, « avait sonné la cloche de notre rassemblement ». Il faudrait peut-être noter ici, pour l’histoire, que cette remarque de ce pionnier de l’œcuménisme fût prononcée ici même, en cette Cathédrale de Saint Pierre, en novembre 1967, lors de la visite au Conseil œcuménique des Églises de notre illustre prédécesseur, le Patriarche Athénagoras d’éternelle mémoire.

Cette « Société d’Églises » proposée par Constantinople a finalement pris chair et os 28 ans plus tard, en 1948, sous la dénomination « Conseil œcuménique des Églises », avec la fusion des mouvements interchrétiens « Foi et Constitution » et « Vie et Action » qui étaient très actifs aussi depuis 1920 ; le premier dans le domaine théologique et le second dans la sphère du Christianisme pratique.

Au cour de septante ans de sa vie, le Conseil œcuménique des Églises, cette expression structurée et bien organisée du Mouvement œcuménique contemporain, fut certainement une des voies choisies par le Seigneur pour attirer l’attention de l’humanité sur le « nouveau commandement » de l’amour qu’Il nous a donné (Jn 13, 30), aussi appelé dans l’Épître de Jacques « loi royale » (Jc 2,8), et pour faire mieux respecter par Son Église les préceptes de réconciliation, de paix, de justice et de solidarité qu’Il a prêché.

Cette longue période de septante ans est le témoin de la riche expérience accumulée par les Églises-membres du Conseil et par les nombreux partenaires et compagnons œcuméniques dans la marche commune vers la coexistence, la compréhension réciproque et la coopération ainsi que pour avancer sur la voie du dialogue et de l’action coordonnée. Ceci, malgré les embuches rencontrées occasionnellement et en dépit des crises théologiques ou sociopolitiques, voire même institutionnelles ou financières.

Aujourd’hui nous sommes obligés de regarder vers l’avenir, de continuer notre pèlerinage commun vers l’unité, la justice et la paix. Le Conseil en tant qu’instrument de ses Églises-membres, engagé non seulement dans le dialogue théologique, mais aussi dans la solidarité et l’amour réciproque, doit se mobiliser plus intensément en vue d’une rencontre plus substantielle avec l’être humain qui souffre aujourd’hui de tant de manières. Il est indispensable que le dialogue aille de pair avec le témoignage dans le monde et des actions qui expriment « la joie ineffable » de l’Évangile (I Pi 1, 8), excluant tout acte d’antagonisme confessionnel. Dans cet esprit, nous considérons qu’il est important que nous chrétiens, inspirés par les principes fondamentaux communs de l’Évangile, essayions de donner une réponse empressée et solidaire, aux problèmes épineux que nous pose le monde d’aujourd’hui. Comme affirma le Saint et Grand Concile de l’Église Orthodoxe convoqué en Crète en juin 2016, les Églises orthodoxes locales, membres du Conseil œcuménique des Églises, participent à part entière et à part égale aux instances de cette institution et contribuent par tous les moyens dont elles disposent à la promotion de la coexistence pacifique et de la coopération qui porte sur les principaux enjeux sociopolitiques2.

Cet engagement dans le monde doit être fondé sur le prototype commun du nouvel homme en Christ en tant qu’expérience ecclésiale et vocation que les fidèles doivent réaliser. Ainsi, par des mots et des actes, par des moyens visibles et invisibles, le Conseil œcuménique des Églises doit proclamer à travers son témoignage le Christ, et le Christ seul.

Le Métropolite Jean (Zizioulas) de Pergame remarque que, très souvent l’oikouménè est improprement considéré comme une simple synthèse de diverses croyances et religions qui existent dans le monde. En vérité, comme ajoute le Métropolite Jean, il convient d’accorder plus d’attention à une autre réalité, c’est-à-dire que « l’oikouménè est aussi une façon de mettre ensemble différentes spiritualités chrétiennes, une vision différente du futur », et que « la catholicité de l’Église n’est pas simplement une manière de mettre ensemble des cultures et des nations telles qu’elles existent dans l’état actuel de leurs relations », mais une façon d’unir « des identités et des traditions historiques, pour qu’elles puissent être transcendées dans l’unité du corps du Christ »3.

Il ne faudrait pas oublier que catholicité et unité sont profondément liées, puisqu’elles désignent l’œuvre de Dieu dans l’histoire et dans le monde, afin de rassembler l’humanité à travers le miracle de la Pentecôte. Ce miracle est accompli par le Paraclet, l’Esprit de Dieu. Certes, nous croyons que « l’Esprit souffle où il veut » (Jn 3, 8) et ne connaît aucune limite. Cependant, comme l’a si bien dit notre maître à Bossey, le Professeur Nikos Nissiotis, nous croyons aussi que ce même Esprit « agit à travers ce qu’il établit, l’Église, en montrant par son œuvre l’ère nouvelle qui s’annonce dans l’histoire et en désignant l’accomplissement ultime de celle-ci à la fin des temps »4. L’Esprit Saint a été envoyé afin de nous guider « dans toute la vérité » (Jn 16, 13), de rendre manifeste l’œuvre salvifique du Christ et pour conduire l’Église vers le Royaume de Dieu. En fait, Dieu nous arme de puissance par son Esprit, pour que le Christ habite en nos cœurs par la foi et que nous soyons enracinés et fondés dans l’amour (cf. Ep 3, 17-18). Cette affirmation biblique essentielle est de la plus haute importance dans tout débat œcuménique sur l’unité de l’Église et sur la solidarité de l’humanité tout entière.

 

Frères et sœurs bien-aimés en Christ,

 

Le Conseil œcuménique des Églises a été fondé dans le but de promouvoir l’unité des Chrétiens. Malheureusement, depuis sa fondation, de nombreux clivages et difficultés imprévues sont survenus. En dépit de ceux-ci, nous poursuivons notre dialogue afin de surmonter ces difficultés, dépasser nos malentendus, d’effacer nos préjugés et témoigner de manière plus authentique du message évangélique. Le dialogue n’implique pas de renier sa tradition ecclésiale. Il signifie plutôt un changement de notre état d’esprit et d’attitude, ce que nous appelons dans le langage spirituel le « repentir », en grec, métanoia, ce qui veut dire voir les choses d’une autre perspective. Dans ce sens, le dialogue est le commencement d’un long processus de compréhension mutuelle qui demande beaucoup de patience et d’ouverture. Nous sommes conscients du fait que le mouvement visant à rétablir l’unité des chrétiens prend des formes nouvelles pour répondre à des situations nouvelles et faire face aux nouveaux défis du monde.

Des tâches particulièrement importantes et délicates nous attendent. Nous devons les accomplir ensemble. La difficulté fondamentale des principales traditions présentes dans le Conseil œcuménique des Églises, c’est-à-dire l’Orient chrétien et les Églises issues de la Réforme, est de devoir redéfinir la nature de cette institution et tracer les limites de l’«oikouménè», au sein duquel le Conseil est appelé à témoigner et à servir. Dans cette perspective, la contribution des partenaires et compagnons œcuméniques sera toujours la bienvenue. Nous nous réjouissons de la coopération constructive entre le Conseil œcuménique des Églises et l’Église catholique romaine et des efforts communs déployés pour répondre ensemble aux grandes questions et aux défis de notre temps.

N’ayons pas d’illusions ! Les Églises ont été jusqu’à présent incapables de surmonter leur division afin d’arriver à l’unité tant recherchée. Elles ne peuvent donc pas prétendre à rassembler aisément l’humanité tout entière, constituée de cultures et de croyances différentes. Néanmoins, notre collaboration constructive et fraternelle au sein du Conseil œcuménique des Églises nous affermit dans notre quête de l’unité et dans notre témoignage de l’universalité de l’Évangile qui nous a permis jusqu’à présent de contribuer à divers niveaux à la promotion de la paix dans le monde et d’une culture de solidarité au sein de l’humanité. Toutefois, n’oublions jamais que le fruit de l’unité ne saurait mûrir sans la grâce divine. C’est pourquoi notre Saint et Grand Concile a eu raison de nous rappeler que « l’Église orthodoxe, tout en dialoguant avec les autres chrétiens, n’ignore pas les difficultés liées à une telle entreprise. Cependant, elle les considère comme des obstacles qui se dressent sur la route d’une compréhension commune de la tradition de l’ancienne Église, et elle espère que le Saint-Esprit, qui ‘tout entière affermit l’Église rassemblée’ ‘pourvoira aux insuffisances’ »5.

Sur cette confiance à l’Esprit Saint, l’Église orthodoxe poursuit à apporter son témoignage au monde chrétien encore divisé et au monde contemporain, marqué par de diverses crises et clivages, en donnant son témoignage dans le monde, étant nourrie dans son engagement par son caractère théandrique de ne pas être de ce monde. Comme l’affirme l’Εncyclique du Saint et Grand Concile de l’Église orthodoxe en invitant l’ensemble du monde chrétien : « L’Église ne vit pas pour soi. Elle s’offre pour l’humanité tout entière, l’élévation et le renouveau du monde dans des cieux nouveaux et une terre nouvelle (cf. Ap 1, 21). Dès lors, elle donne le témoignage évangélique et elle partage les dons que Dieu dispensa à l’humanité : son amour, la paix, la justice, la réconciliation, la force de la Résurrection et l’espérance de l’éternité »6.

 


 

  1. Constitution et Règlement du Conseil œcuménique des Églises
  2. Les relations de l’Église orthodoxe avec l’ensemble du monde chrétien, §17
  3. John (Zizioulas) of Pergamon, Action and Icon-Messianic Sacramentality and Sacramental ethics, dans Th. Wieser,(ed), « Whither Ecumenism? », Geneva 1986, p. 63
  4. N. Nissiotis, The Pneumatological Aspect of the Catholicity of the Church, dans « What Unity Implies », WCC Studies No 7. Geneva 1969, p. 19.
  5. Cf. document sur les Relations avec le reste du monde chrétien, §8.
  6. Encyclique, introduction.